Ma première retraite Vipassana
Vipassana, qu’est-ce que c’est ?
Vipassana signifie « voir les choses pour ce qu’elles sont réellement ». C’est l’une des techniques de méditation les plus anciennes qui a été mise au point et utilisée par Bouddha Gautama, à l’origine de son éveil. A ce jour, cette pratique est transmise par SN. Goenka. La méditation Vipassana est une méthode non religieuse, non spirituelle, ne faisant partie d’aucune secte. C’est une méthode pragmatique de purification mentale, d’observation de soi et d’acceptation de l’impermanence de tout ce qui est. C’est en quelque sorte une technique de déconditionnement de l’esprit ayant pour but d’éliminer les impuretés mentales et de nous libérer de la souffrance. C’est un art de vivre que l’on peut utiliser quotidiennement dans tous les domaines de notre vie.
Cette première retraite Vipassana a fait bouger beaucoup de choses en moi et m’a apporté des clés importantes d’évolution et de transformation. Mon intention ici est de partager ma propre expérience personnelle, avec des mots simples. Il ne s’agit pas de la vérité absolue au sujet de cette technique, mais simplement de ma vérité, ma réalité, en gardant à l’esprit qu’une retraite Vipassana ne se raconte pas, mais qu’elle se vit.
C’est dans le Kanchanaburi, en Thailande, que je m’apprête à passer les 10 prochains jours. 10 jours de silence. 10 jours de rien. 10 jours de tout.
J’arrive au centre Dhamma Kancana situé au milieu d’une jungle luxuriante où ont été bâties de petites maisons composées de 4 chambres individuelles. On m’annonce que j’occupe la chambre 8A. Je suis chanceuse de découvrir un espace propre et confortable dans lequel se trouvent un lit, une petite armoire et la salle de bain adjacente. L’emploi du temps est placardé sur le mur de la chambre et je réalise alors que 100 heures de méditation m’attendent.
Nous recevons notre set de repas composé de bols, cuillère et fourchette, mug et torchon. Pas besoin de plus.
Nous remettons aux servants nos objets personnels tels que le téléphone, l’ordinateur, les carnets et les bouquins. Tout est mis sous clé pour les dix prochains jours. Les hommes et les femmes sont séparés dans deux parties bien distinctes du centre. Nous avons notre propre réfectoire, notre propre espace de balade et nos logements. Au centre, se situe le hall de méditation principal où nous retrouvons les hommes pour les méditations de groupe aux horaires prévus.
Nous rentrons dans le Noble Silence pour les 10 prochains jours. Aucun échange verbal ni physique n’est autorisé.
Après avoir écouté le premier discours de SN. Goenka et pratiqué la première méditation du soir, je regagne ma chambre, m’allonge sur mon lit et réalise que ça va être long, très long.
Durant la nuit je me réveille et je suis perdue. En effet, je n’ai pas de montre et je n’ai aucune idée de l’heure qu’il peut être. L’absence d’indication de temps est très perturbante pour moi, sans heure, je me sens désorientée.
Incapable de savoir si le gong a déjà retenti ou non, je pars en direction du hall principal pour trouver la pendule qui indique 1h30 du matin. (j’ai appris par la suite que plusieurs femmes se sont également retrouvées à traverser le camp au milieu de la nuit pour connaitre l’heure hihi)
Les premiers jours se résument à apprendre à observer sa respiration ainsi que les sensations ressenties sur le triangle formé par les narines et la lèvre supérieure. Juste observer la respiration naturelle, rien d’autre. Les heures se suivent, s’en suivent et se ressemblent. Les minutes deviennent des heures qui semblent s’éterniser.
Mon corps me fait mal : tensions dans les genoux, douleurs dans les épaules, raideurs dans la nuque et dans le dos. J’essaye de construire avec les coussins à disposition une assisse la moins inconfortable possible. Non seulement je ressens que mon corps résiste, mais mon esprit n’aide pas ! Ce fameux « Monkey Mind » ne cesse de passer d’une pensée à une autre sans que je n’arrive à le canaliser plus de 5 minutes. C’est infernal. Je n’ai jamais vécu une telle expérience auparavant.
Je ressens un véritable conflit intérieur, un rejet total de la pratique, une envie de fuir. Je suis assaillie de pensées intrusives et envahissantes au sujet de la pratique. « Cette technique est mauvaise » « je fais du mal à mon corps » « ce n’est pas fait pour moi », « c’est trop intense, trop extrême » bla-bla-bla…
Durant les pauses et les moments de repas, j’observe les femmes autours de moi et je perçois ce lieu comme un mélange entre une prison, un hôpital et un rassemblement de personnes malheureuses. Le silence, l’absence d’expression sur les visages, la fermeture corporelle, le repli me font ressentir une sensation de lourdeur. Certaines personnes mangent face à un mur, au sens littéral du terme. Une plaque de verre nous sépare de notre voisin de table. On est identifiées par des numéros et des lettres. J’ai alors une assez mauvaise vision de cette pratique, je suis persuadée à ce moment là que cela sera ma seule et unique expérience Vipassana.
Je juge la pratique, je me juge moi-même, je juge les autres. Ah le jugement ! Ce fameux juge qui ment…
J’ai le temps et l’espace pour analyser avec détails chaque domaine de ma vie, penser à chacune de mes relations passées, présentes et futures, fouiner tous les moindres recoins de mon esprit. Je me réfugie dans des mondes imaginaires à travers lesquels je crée des histoires et scénarios en tout genre ! Et je jongle.
Le 3e jour, le périmètre anatomique s’amenuise davantage: fixer son esprit sur le triangle à la base des narines et le haut de la lèvre supérieure qui doit mesurer environ 1cm2 ! Et ça, pendant 10h30 assis par terre en tailleur.
J’apprends à la fin du troisième jours à travers le discours de SN. Goenka que ceci n’est qu’en réalité que l’introduction. 30 heures d’introduction à la pratique.
Durant le discours du J3, SN. Goenka utilise l’humour pour nous faire passer des messages, et alors le hall entier se met à rire. Cela faisait 3 jours que je n’avais pas entendu un rire, que je n’avais pas senti la sensation d’un sourire sur mon visage et l’émotion associée. Je prends conscience à ce moment-là de la rigidité, de la dureté et du sérieux qui m’occupent. Sourire m’avait manqué. Je décide alors de sourire davantage et de vivre cette expérience avec moins de sérieux, plus de souplesse et de fun ! Et alors les choses ont commencé à changer, je rentre davantage dans la pratique et je prends plaisir à être ici.
Puis vient le 5ème jour, avec l’introduction d’Adhitthana, la « Strong Determination Sitting ». Nous devons apprendre à méditer pendant une heure sans bouger, sans changer de position, sans réagir. Mettre en pratique le principe de « Perfect Equanimity » qui est celui d’observer et d’accepter tout ce qui nous traverse sans réaction. Si un cheveu chatouille, pas de réaction. Si un moustique pique, pas de réaction. Si les genoux brulent, toujours pas de réaction. Il en est de même avec les émotions. Laisser passer chaque émotion, sensation, ressenti comme des nuages qui traversent le ciel, sans s’y accrocher, sans jugement – simplement observer et accepter.
Les premières expériences sont de véritables conflits intérieurs entre douleurs physiques et pensées intrusives permanentes. Mon corps est en souffrance, j’ai mal partout, je suis courbaturée. Je sors de la méditation un nombre incalculable de fois, laissant mon Monkey Mind gesticuler dans tous les sens. C’est mon égo qui me porte durant les premières pratiques, jusqu’à ce que je comprenne qu’il suffit, « tout simplement », de lâcher prise.
Adhitthana est l’essence même de la méditation Vipassana. C’est le cœur de la pratique. Nous nous entrainons à garder le même état d’esprit quels que soient les évènements qui nous traversent.
C’est une technique puissante qui nous permet de développer nos capacités de résilience, de concentration, de persévérance mais aussi de patience, de tolérance et de compassion. Et je ressens les prémices de ses vertus s’installer timidement en moi à travers les heures passées assises à travailler le plus assidument que je puisse.
Durant le 7ème jour, un autre déclic se produit en moi me permettant de me rapprocher un peu plus du sens de la pratique.
Je comprends pourquoi nous avons besoin d’un minimum de 10 jours pour pratiquer Vipassana. Cela prend du temps de déconstruire, pour reconstruire. Chaque étape, chaque « erreur » me rapproche un peu plus de la vérité et de la voie du Dhamma. C’est un chemin, semé d’embuches et d’obstacles à contourner, sur lequel on s’engage pour (re)prendre notre pouvoir personnel et devenir le créateur de notre vie.
Les derniers jours se déroulent avec beaucoup plus de douceur et le temps fini même par s’accélérer. En réalité, je n’ai pas envie que cela se termine. Un sentiment de paix intérieur profond s’infuse dans chacune de mes cellules.
Je ressens une vague de gratitude infinie envers les servants (anciens élèves qui travaillent bénévolement au centre) qui mettent tout en œuvre pour que nous puissions vivre notre expérience de la meilleure des façons qu’il soit.
Je me sens bénie et reconnaissante de recevoir autant d’amour et de bienveillance de la part de ces personnes. Une évidence apparait en moi : je servirai à mon tour, afin de transmettre ce don que j’ai reçu.
Après le déjeuner du 10ème et dernier jour, nous reprenons contact avec les autres méditants. Chaque personne qui m’entoure rayonne, sourit et dégage une forme de sérénité. La joie est partout. Nous partageons les unes avec les autres notre propre expérience, et ces échanges me permettent d’observer les similitudes et les différences vécues entre chaque méditant. Certaines des rencontres que j’ai pu faire dans ce centre m’ont profondément marquée et touchée.
Quelque chose change lorsque l’on fait un Vipassana. Quelque chose nous rend plus fort, et plus humble. Et de nombreux apprentissages se sont plantés en moi.
J’ai appris à accepter (un peu plus) l’impermanence de tout ce qui est.
J’ai appris à regarder le plafond pendant les temps de pause.
J’ai appris à trouver une forme de confort dans l’inconfort.
J’ai appris à lire l’heure avec le soleil.
J’ai appris l’humilité.
Je repars du centre Kancana heureuse, légère et remplie de gratitude après cette première expérience qui finalement, contrairement à ce que je pensais pendant les premiers jours, ne sera pas la dernière.
Je me suis engagée à maintenir une pratique de méditation quotidienne en commençant chaque journée par 30 minutes de silence, mais également en méditant à chaque opportunité qui se présente.
En conclusion, une retraite de méditation Vipassana est une expérience intense qui demande un engagement et un dévouement total dont les bénéfices que l’on en retire sont inestimables. C’est un voyage à l’intérieur de soi même qui fait évoluer nos perceptions vis-à-vis de notre monde intérieur et extérieur.
Voilà ce que je peux partager, en vulgarisant mon expérience à travers ces quelques lignes.
Si vous êtes intéressés de découvrir ce qu’est l’expérience transformatrice de la méditation Vipassana par vous-même, vous avez toutes les informations et les centres disponibles sur dhamma.org.
Bhavatu Sabba Mangalam – Puissent tous les êtres être heureux.
Clémence